
Des synergies locales pour nos fermes et nos champs
C’est sous un ciel changeant qu’une cinquantaine de personnes se sont retrouvées à la ferme du Mafa, à Manhay, pour une rencontre multi-disciplinaire sur le thème « Prendre soin de nos fermes et de nos champs » : agriculteurs, maraîchers, producteurs, citoyens. Une assemblée très diversifiée et très chaleureuse – qui a partagé à longueur d’après-midi ses expériences, ses témoignages, ses déboires, ses esquisses de solution.
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Faire renaître la biodiversité
Deux ateliers se tenaient en alternance. Le premier, « Biodiversité à la ferme », était animé par Tony Neuforge, agriculteur retraité et naturaliste passionné, et Antoine Quirynen, de Natagriwal (qui conseille les agriculteurs, notamment pour les programmes agro-environnementaux et les zones Natura 2000), sous la supervision d’Elodie Pétré du GAL Pays de l’Ourthe.
On y a abordé surtout les prairies, qui sont prédominantes dans la région, plus particulièrement à Manhay.
Quelques morceaux choisis :
- Historiquement, la mécanisation et la demande de produire plus (après la seconde guerre mondiale) marquent le début de la standardisation des prairies, dont la flore par exemple s’appauvrit et se banalise
- La plupart des prairies de Manhay sont des “prairies permanentes”, c’est-à-dire des prairies implantées depuis minimum 5 ans, et qui offrent beaucoup d’espace pour la vie : leur maintien est un enjeu majeur pour soutenir la biodiversité.
- Pour réencourager la biodiversité dans les prairies, la Région wallonne propose des subsides pour les parcelles agricoles qui rencontrent une série de critères d’exploitation, respectueux de la faune et de la flore, les fameuses MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques). La prairie à haute valeur biologique est une des plus connues. L’agriculteur s’engage pendant 5 ans à respecter un cahier des charges, avec l’assistance de Natagriwal. Plus de 11.000 hectares sont protégés sous ce statut.
- Le broyage des talus, avec machines à rotation rapide, est dénoncé comme nuisant à la petite faune d’insectes et d’amphibiens et comme contribuant à la dispersion des plantes adventices. Rien ne vaut la fauche.
- Arbres et haies protègent les animaux de la chaleur, qui – comme les humains – peuvent souffrir de stress thermique. On l’oublie parfois.
Une courte visite dans la prairie située à l’arrière de la ferme du Mafa permet d’identifier une série de plantes qui sont commentées : gesse, rumex, trèfle, chardon…

Un levier puissant de maintien des fermes
Le deuxième atelier, autour du thème des « Terres agricoles publiques » est animé par Françoise Ansay de Terre-en-Vue. Terre-en-Vue est un mouvement qui œuvre pour faciliter l’accès à la terre, surtout pour les jeunes générations et pour encourager une agriculture nourricière locale et durable.
La transmission des terres est un problème aigu. 80% des agriculteurs n’ont pas de repreneurs . Dans 15 ans, les 12.000 fermes existantes aujourd’hui en Wallonie ne pourraient plus être que 5.000. Avec comme corollaire, une augmentation de la taille des parcelles – ce qui est généralement synonyme de moins de biodiversité. Le prix des terres a augmenté de 44% en 7 ans et un tiers des acquéreurs actuels de terres agricoles ne sont pas des agriculteurs.
Terre-en-Vue accompagne tant les agriculteurs que les communes (ou autres pouvoirs publics) : les agriculteurs dans leur besoin d’acquérir, d’exploiter durablement, de transmettre, de vendre, et les communes, dans leur besoin d’inventorier leurs terres, d’aider les agriculteurs, de contribuer au renouvellement des générations, de développer des synergies locales – bref de développer un programme stratégique pour la bonne gestion de leur patrimoine agricole.
Deux témoins éclairent la question avec leur témoignage : Sébastien Lens est agriculteur sur le territoire de Durbuy, où il a bénéficié d’un bail de carrière, qui lui garantit une continuité d’exploitation jusqu’à l’âge légal de la pension et qui est fier d’avoir récemment planté 5 kilomètres de haies et d’alignements d’arbres. Elise Mouton produit de la farine et de l’huile au moulin de Lafosse, et a créé des partenariats avec des agriculteurs locaux – même si elle déplore qu’ils soient parfois éloignés. Elle plaide pour des circuits aussi courts que possible et se réjouit qu’à ce niveau, elle puisse travailler avec des accords qui ne soient pas affectés par les soubresauts des prix internationaux.
Quelles alliances ?
Une table ronde a clôturé l’après-midi. Quelles alliances imaginer pour soutenir une agriculture riche en biodiversité dans notre région ? Quatre intervenants principaux :
- Anne Mottet, bourgmestre de Manhay
- Françoise Ansay, Terre-en-Vue
- Sébastien Lens, agriculteur (Terrae, Conserva’Terres)
- Elise Mouton, citoyenne et productrice du moulin de Lafosse
Plusieurs pistes sont évoquées :
- Pour les terres agricoles publiques, Terre-en-Vue propose divers outils tant aux agriculteurs qu’aux pouvoirs publics. Pour contribuer à ce mouvement de préservation de l’agriculture locale et durable, les citoyens peuvent en devenir coopérateurs.
- La commune de Manhay donne en location environ 230 hectares de terres agricoles (70 euros/ha). Elle ne vend pas ses terres. Elle est à l’écoute des agriculteurs (qu’attendent-ils ?). Les politiciens ont besoin des spécialistes, car ils ne peuvent pas tout connaître.
- La commune a tenté de créer un circuit court entre une collectivité et un verger local, mais s’est heurtée à un cahier des charges complexe et très/trop strict pour l’arboriculteur. Le cahier des charges pour un circuit court n’est-il pas trop calqué sur les contraintes relatives à des circuits industriels internationaux ? Ne devrait-il pas être allégé ? Une adresse utile à cet égard : Manger demain.
- Un circuit court ne doit pas se limiter à une seule commune. Il peut aussi être organisé entre deux ou plusieurs communes, en fonction de leur production.
- Le parcellement de grandes terres agricoles publiques est aussi une piste : il y a moyen de recadastrer des terres pour les diviser en plus petites parcelles. En diversifiant l’accès, on obtient une biodiversité humaine et naturelle. Démarche faite par exemple à Ohey. « Commencer petit » pour un jeune qui se lance n’est pas une mauvaise stratégie : en étant dans la place, il peut trouver des opportunités pour s’agrandir.
- La taille tardive des haies ou la tonte tardive de certaines pelouses (après le 1er ou le 15 août) est bénéfique à la biodiversité, qu’elle soit pratiquée par les particuliers ou la commune. Mais pas facile pour une commune de garder le cap face aux mécontents, adeptes du « propre ».
- Certains subsides régionaux (les MAEC par exemple) permettent aux agriculteurs de réintroduire de la biodiversité dans leurs terres : en témoigne notamment l’expérience de Sébastien Lens avec sa plantation de haies – sur les sarts communaux de Durbuy – , même si les subsides ne couvrent pas tous les frais et que l’agriculteur y procède par conviction et y va de sa poche.
- Il se félicite aussi de l’alliance bio qu’il a passé avec le sol : il le voit mieux fonctionner.
- L’alliance se fait également entre agriculteurs et consommateurs : plus les consommateurs mangent bio, plus l’agriculture bio sera favorisée.
- Comment faire un bien commun des terres nourricières ? Comment soutenir ceux qui veulent reprendre de petites fermes ? Comment attirer des jeunes non issus du milieu agricole ? Une ferme-école comme celle de Bierleux-Haut (Stoumont) tente de contribuer à une solution.
- Il faudrait trouver un espace où pourrait se développer un croisement de réflexions entre communes, citoyens et agriculteurs. Selon l’expérience d’Elise Mouton, un agent Pollec est un bon fédérateur de questionnements et d’idées (encore faut-il que les subventions suivent). Elle appelle aussi au développement de plus de synergies entre producteurs, transformateurs et consommateurs, à plus de participations de tous horizons pour générer des actions locales, et avoir conscience que les actions locales ont un impact sur le global .
- Du côté de l’éducation à la nature, on pourrait développer des initiatives qui sensibilisent autrement que par la raison, mais plutôt par le sensible, la poésie, l’ouverture du cœur et du corps à ce qui nous entoure.
Le fil rouge de ces échanges se trace autour de la création de synergies entre agriculteurs, transformateurs, consommateurs et pouvoirs communaux, en vue d’une dynamique locale, qui fasse la part belle aux parcelles agricoles de petite dimension et aux circuits courts, et qui fasse vivre la communauté régionale. La biodiversité ne peut que s’en porter mieux.
Une bonne nouvelle, pour conclure : au dernier recensement de la Région wallonne, Manhay figure parmi les rares communes (avec Virton, Stavelot et Rouvroy) à se prévaloir de plus de 50% de SAU (superficie agricole utilisée) en bio.